Précipice (1929) est le récit de trois journées particulières dans la vie d’un homme rangé, qui va soudain plonger dans des abîmes dont le protégeaient jusque-là les conventions de la vie professionnelle, sociale et familiale.
Ce professeur de droit se réveille un matin avec un sentiment de lassitude, d’exaspération, ainsi que d’étrangeté à sa propre vie. En proie à ce singulier trouble, il se rend tout de même à l’université : sous le coup d’une inspiration saisissante, il y donne un cours totalement improvisé, le plus beau de sa vie, et provoque ses étudiants par des discours iconoclastes. Puis il s’en va consulter l’une de ses anciennes disciples, devenue demi-mondaine, qui le met en relation avec un lointain parent capitaine des hussards, un homme plus libre que lui, croit-il. Obsédé par cette quête de liberté, il ne retourne ni au domicile conjugal ni à l’université. Suivent trois jours et deux nuits de dérive dans les rues, d’hôtels en cafés, marquées par des rencontres inattendues.
Précipice est une sorte de suite rhapsodique où l’on passe, sur les traces de ce narrateur solitaire et inquiet, bavard et cultivé, du brouillard aux lumières éclatantes, de la froidure des rues hivernales aux intérieurs surchauffés, des éclairages noctambules aux aubes glacées, d’insomnies en sommeils agités de rêves. L’alternance du monologue intérieur du narrateur et des dialogues avec les différents personnages rencontrés rythme cette odyssée intérieure et urbaine.
Autant que les profondeurs de l’âme humaine, ce récit nous fait découvrir le Budapest de l’entre-deux guerres, son aristocratie déclinante et sa grande bourgeoisie, ses bas-fonds où se mêlent toutes sortes d’individus, et où résonnent les premières notes de jazz. On y découvre également le style narratif de Milán Füst, que caractérisent un réseau serré et cohérent de motifs et d’images originales, son goût de la digression, ainsi qu’un certain lyrisme, tantôt audacieux, tantôt retenu, souvent teinté d’ironie.